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« Le franc CFA est une assurance contre le chaos financier, pas contre la mauvaise gestion »

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Entretien en deux parties avec Loup Viallet, spécialiste de l’économie et de la géopolitique africaine. Son dernier livre, La fin du franc CFA, a été publié chez VA Éditions en octobre 2020.  

Fabien Herbert : Pour introduire cet entretien, revenons sur la genèse du livre, quel était le but recherché à travers l’écriture de cet essai ?

Loup Viallet : Le franc CFA est une pomme de discorde franco-africaine. En France et en Afrique cette monnaie alimente un débat passionnel qui s’est réduit à une guerre de positions sans nuance. Le camp des anti-franc CFA est assez hétéroclite, il rassemble des militants décoloniaux et panafricanistes anticapitalistes, mais aussi des économistes hétérodoxes, néo-libéraux et des personnalités souverainistes. Pour ces derniers le franc CFA est le symbole d’un néocolonialisme français prédateur et suranné. En face, on trouve des acteurs favorables au maintien et à la réforme du franc CFA parmi des publics de sensibilité peu ou prou libérale : politiques, économistes, journalistes, patrons. Et entre les deux, une flopée d’indécis, qui ne savent pas quelle position adopter tant le sujet leur paraît complexe, ou lointain (voir les deux). J’ai écrit ce livre pour chercher à dépasser ce débat stérile et déminer un terrain qui se révèle de plus en plus glissant. Beaucoup d’arguments des détracteurs du franc CFA sont irrecevables et les alternatives qu’ils proposent sont hasardeuses, voire pires que la monnaie dont ils cherchent à se soustraire. Cependant, les questions qu’ils soulèvent ne doivent pas rester sans réponses : il est tout à fait légitime de considérer que la France n’a pas vocation à garantir éternellement les monnaies d’un tiers des pays d’Afrique subsaharienne. Mais la garantie française n’est vraiment un atout que si elle permet aux États qui en bénéficient de l’utiliser comme une assurance de stabilité monétaire et de sécurité économique le temps de construire leur propre autonomie financière, jusqu’à pouvoir enfin s’en passer sans se fragiliser.

Fabien Herbert : Pouvez-vous nous présenter trois idées fausses sur le franc CFA ?

Loup Viallet : La coopération monétaire franco-africaine est la matrice de beaucoup de fantasmes. Il y a cette idée que les pays africains sont prisonniers de la zone franc alors qu’ils sont libres d’en sortir, comme l’ont fait le Mali (avant de ré-adhérer vingt-deux ans plus tard), Madagascar, la Guinée-Conakry ou la Mauritanie. Et si c’est une prison coloniale, alors pourquoi la Guinée-Bissau et la Guinée-équatoriale ont-elles fait le choix d’y adhérer dans les années 1990 ? Pourquoi Sao-Tomé-Et-Principe et le Cap Vert ont-ils conclu un partenariat analogue avec l’Espagne pour garantir la stabilité et la convertibilité en euros de leurs monnaies dans les années 2000 ?

On dit aussi que l’impression en France de la monnaie serait une preuve de la servitude des pays africains, or la plupart des monnaies du monde ne sont pas fabriquées dans les pays dans lesquelles ont cours. C’est un service commercial à forte valeur ajoutée, qui ne relève pas de la politique monétaire. Ce sont les banques centrales africaines qui ont le pouvoir d’émission et qui décident de la quantité de monnaie en circulation.

On entend même que le franc CFA serait un boulet pour les économies africaines, sans tenir compte de la maîtrise de l’inflation d’origine monétaire en zone franc (unique en Afrique), de taux d’intérêts plus bas qu’ailleurs sur le continent. Par ailleurs, la zone franc d’Afrique de l’Ouest a une croissance moyenne quasiment deux fois plus élevée que celle du reste de l’Afrique depuis 10 ans.

Mais le plus grand mensonge est sans nul doute celui qui présente le franc CFA comme la clé de voûte d’un pré carré économique de la France parmi ses anciennes colonies. Cette période-là est révolue, depuis longtemps. Les économies de la zone franc sont mondialisées et l’importance de la France est relativisée par celle de l’Allemagne, de la Chine, de l’Inde, de la Turquie… Aucune position n’est acquise et les marchés bougent beaucoup. Parmi les grands groupes français encore présents sur place, le groupe CFAO est devenu une filiale du groupe japonais Toyota. CASTEL compose avec la concurrence de Heineken, du britannique Diageo, des viticulteurs espagnols et sud-africains. BOLLORÉ Transport & Logistic soutient la concurrence du belge Sea-Invest, du chinois China Harbour Engineering Compagny, ORANGE fait face au groupe marocain MOOV et à la firme sud-africaine MTN… En réalité, la majorité des intérêts économiques des entreprises françaises en Afrique subsaharienne sont hors de la zone franc : l’Angola et le Nigéria par exemple sont des partenaires économiques plus importants pour les firmes françaises d’aujourd’hui que chacun des pays de la zone franc. En lui-même, le continent africain ne représente plus qu’environ 5% des débouchés français, et les pays membres du franc CFA correspondent à moins de 10% d’entre eux.

Deuxième partie de l’entretien à suivre…

 

 

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